30'55, 2017.
Dans le cadre d'Empreinte, une bourse de production de l'ACSR.
La parole chanceuse est, à l'origine un court texte de Marguerite Duras issu de son recueil La vie matérielle, dont ne subsiste ici que le titre. L’auteur y décrit l’armement invisible que procure une parole dite « chanceuse » face à un auditoire. Et quand ça vous est arrivé une fois parait-il, la parole chanceuse, ça vous arrive tout le temps ensuite.
L’emprunt de cette formulation « magique » sert de prétexte au déroulement d’un récit : le quotidien d’un foyer de jeunes filles, leurs apprentissage du monde. Les indices de temps, de lieux et d’actions sont lacunaires. À ce récit est enchâssé le discours de Mohamed Ali qui précéda son combat contre George Foreman en 1974.
La parole chanceuse est une pièce radiophonique et musicale qui interroge tout à la fois le pouvoir émancipateur du verbe mais aussi son impuissance. Le premier enjeu de cette pièce fut de questionner les codes du récit oral où la dramaturgie repose tout autant sur les mots qu'à travers la voix du narrateur, sa prosodie. Ce double lexique, entre représentation du langage et perception sensible de la voix, est devenu terrain d'exploration formel et musical. Cette infirmité du verbe à figurer les angles morts du langage est contournée par la voix elle-même. Le trébuchement des énoncés, les grains de voix variés, les arrêts et fractures donnent certains indices perceptifs au récit, à sa narration. Marguerite Duras et Mohamed Ali sont convoqués ici comme les figures tutélaires de cette "parole chanceuse", chacun muni de leur arsenal, concision implacable du texte et force d'intimidation du discours.